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Le Temps

                                Blog Internet de Jacob Ouanounou




Autour du Commencement
Dès les premières pages, le Midrash Rabba, pilier de l’exégèse juive, dans la première section, paragraphe 10, introduit cette notion de commencement :

Rabbi Yona rapporte au nom de Rabbi Lévi : Pourquoi le monde a-t-il été créé avec la lettre beth (première lettre du récit de la Genèse,deuxième lettre de l’alphabet hébraïque) ?
 De même que cette lettre est fermée des trois côtés et ouverte vers l’avant (l’hébreu de lit de droite à gauche) de même il n’est licite de s’interroger sur ce qu’il y a au-dessus, en dessous, devant et derrière que depuis l’instant de la création du monde.
(Il n’y a pas lieu de demander ce qu’il y avait avant).

Bien entendu, cette question intrigue : qu’y avait-il avant la Création ? On a ici l’impression que l’exégèse juive tente d’éluder une question difficile : si une Puissance Divine est à l’origine de l’Univers, que s’est-il passé avant cette création ?
 Et la question suivante serait d’ailleurs : que s’est-il passé avant cette Puissance Divine ? Et il est trop facile de ne pas répondre à cette question, sauf si l’on précise pourquoi il n’y a pas de réponse.
Certes, dans la suite de ce même texte du Midrash, nous trouvons une justification théologique de cette thèse :


Bar Kappara a dit au sujet du verset Devarim 4:32 « Questionne les jours qui t’ont précédé depuis le jour où l’Eternel a créé l’homme sur la Terre » : depuis ce jour, tu peux interroger, mais tu ne peux pas interroger ce qui précède ce jour. »

Mais une justification théologique suffirait-elle, justement parce qu’elle est théologique, à éluder une question aussi centrale que celle-ci : qu’est-ce qui a pu précéder le Commencement ? Parce que cette question concerne aussi bien l’athée autant que le croyant – qui, lui, peut se satisfaire d’un interdit pour s’abstenir de soulever ces questions –, une référence uniquement théologique, justement parce qu’elle s’appuie uniquement sur les textes de la tradition juive, ne permet pas de résoudre la question.


Qu’est-ce qui justifie alors ce refus de répondre, ce refus même de considérer la question, de poser la question de ce qui a pu précéder le commencement ?
Sforno propose une perspective tout à fait intéressante, dontnous verrons qu’elle a un caractère fortement précurseur, presque révolutionnaire, dans la perception humaine de l’Univers.

Cette perspective se résume en une phrase, la première phrase de tout le  commentaire de la Torah par Sforno :

Au Commencement : au début du Temps, qui correspond au premier instant indivisible, parce qu’il n’y a pas eu de Temps avant cet instant.
En somme, nous explique Sforno, la question posée (qu’y avait il avant la Création ?) ne trouve pas de  réponse, parce que la question n’a pas de sens : avant la création (avant le Big Bang) il n’y a avait pas de temps. Il n’y a pas d’avant la Création, puisque « avant » la Création il n’y avait pas de Temps. En d’autres termes, cela veut dire que le Temps est une création.
En langage scientifique, cela signifie que le Big Bang n’est pas seulement le début de l’Univers en tant qu’Espace et Matière, mais c’est également le début du Temps. « Avant » le Big Bang, il n’y avait pas
de temps.

Dans le même ordre d’idées, Rabbeinou Béhayé (13e Siècle) cité plus haut, aborde la question du temps dans son introduction au commentaire de la Torah. Dans une discussion sur la durée du récit de la Genèse (les six fameux jours de la création), il dit ceci :

… et bien que le temps ait été créé, et qu’avant la Création il n’y avait pas de temps

Concevoir la possibilité qu’il n’y ait pas de Temps n’est pas simple. Il faut pour cela une certaine abstraction. Et si pour les théologiens juifs le temps est une création, et l’instant initial une « anomalie », pour les cosmologistes, l’instant initial, t = 0, est une singularité : cela veut dire qu’à cet instant, aucun modèle n’est
valable, aucun calcul ne peut avoir de sens. A t=0 nous sommes à la limite entre un temps où la Physique existe, et un « système » intemporel où la Physique n’existait pas encore.
 Dans une logique mathématique, cette singularité fait que tout y est discontinu, et que les calculs n’ont pas de prise. Les seuls calculs qui peuvent être faits concernent donc les instants postérieurs à cet instant singulier. Ces différents calculs s’appuient sur le Modèle Standard, aujourd’hui considéré comme suffisamment robuste pour rendre compte des mécanismes de l’Univers. Ce modèle, qui associe les notions liées à la Physique Quantique d’une part, et à la Physique Relativiste d’autre part, fait l’objet de nombreux travaux de recherche à travers le monde. Dans le cadre de ces travaux, centrés sur une perspective cosmologique, on signalera par exemple en France le projet Horizon, qui associe le Commissariat à l’Energie Atomique, le CNRS, l’Observatoire de Paris, l’Université Pierre et Marie Curie, et d’autres encore. Les informations données ici sont conformes aux résultats du projet Horizon, notamment.

S’il est impossible de simuler l’état de l’Univers à l’instant t=0, on peut en revanche procéder à des calculs, des simulations, à des instants très proches de l’instant initial. A ce titre, des calculs ont été effectués à des instants postérieurs à l’instant initial, mais extrêmement proches de cet instant : ces simulations concernent
notamment les instants t =10- 43 s. et t=10 -35 s.
Pour mieux se représenter ce dont on parle, précisons que l’instant 10-43 correspond à l’instant :
0,000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 1 seconde.
C’est 100 milliardièmes de milliardième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde après l’instant initial.
L’instant t=10-35 s vient « longtemps » après, une durée cent millions de fois plus longue que pour 10-43 s, qui s’est écoulée depuis le Début, et correspond à l’instant :
0,000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 1 seconde, soit 10 milliardièmes de milliardième de milliardième de milliardième de seconde après l’instant initial.

En réalité, compte tenu de l’état où se trouvait l’Univers, une concentration de toute la matière et de toute l’énergie aujourd’hui disponibles, mais confinées dans un volume de l’ordre du centimètre, il s’est passé beaucoup de choses dans cet intervalle de temps extrêmement bref. Dans la violence inouïe de l’explosion
initiale, un laps de temps aussi bref voit se dérouler un très grand nombre de transformations. C’est à partir de cet instant de 10-35 s que l’Univers a pris une évolution régulière autonome, « naturelle », certes très violente, mais « équilibrée » au sens où cette évolution est devenue spontanée, explicable par la Physique.
 Un « instant » auparavant, au temps t = 10-43 seconde, qui est aussi le Temps de Planck, l’état de l’Univers le destinait à une implosion, un confinement de la matière et de l’énergie disponibles dans un volume de plus en plus petit. Entre ces deux instants, un phénomène physique étranger au Modèle Standard s’est produit,un phénomène unique, qui ne s’est pas produit à nouveau depuis. Si le Modèle Standard parvient à décrire l’ensemble de l’évolution de l’Univers, ce qui s’est passé entre 10-43 et 10-35 seconde reste inexplicable.


En dessous du temps de Planck, qui est tP = 5,43 . 10-43 sec., il n’y a pas de temps. Il s’agit de la plus petite durée qui ait un sens en Physique. De ce fait, entre t=0 et tP, il n’y a pas de continuum temporel, mais un saut discontinu, qui passe de 0 à tP. L’idée a été parfois évoquée par certains scientifiques contemporains, de considérer comme Aristote que l’Univers est éternel, et qu’il suit des cycles d’explosion de type Big Bang, suivis d’implosions appelées Big Crunch. Nous serions aujourd’hui dans une phase d’expansion, mais l’Univers serait éternel. Mais cette idée ne ferait même pas de l’Univers un objet éternel.
En effet, une fois achevé le Big Crunch, et dès qu’on repasse par tP, il n’y a plus de temps, et donc plus d’espace ni de matière. La Physique n’existerait plus. Et si par un hasard inexplicable, un Big Bang se produisait ensuite, le nouvel Univers ainsi créé ne serait pas historiquement la suite du nôtre, puisqu’il n’y a pas de continuum temporel entre les deux histoires. Du fait de la rupture temporelle, les deux Univers ne sont pas la suite l’un de l’autre.


Ce « coup de pouce » qui a gonflé l’Univers, pour le conduire d’une dimension qui le destinait à l’implosion vers une dimension qui a permis son explosion puis son expansion, ne s’est jamais produit depuis l’instant 10-35 seconde, et reste inexpliqué d’un point de vue scientifique.
La confirmation par la cosmologie moderne d’idées avancées il y a des millénaires est plus que surprenante : elle est presque énervante. Bien sûr, ce ne sont que des commentaires. Mais des commentaires qui, à l’époque où ils ont été énoncés, étaient contraires à toutes les certitudes de l’expérience humaine, des
propos insensés et ridicules. Or, on ne peut pas infliger aux auteurs de ces thèses à la fois le ridicule de leurs contemporains pour avoir énoncé ces thèses, contre le bon sens de leurs congénères, et la critique de notre époque moderne pour les avoir fondées sur un récit théologique.

Que pouvaient penser les contemporains de Nahmanide lorsqu’il écrivit :


Et voici que par cette créature (la création initiale), qui est comme un petit point fin qui n’a pas de substance, ont été créées toutes les créatures du ciel et de la terre

Cette affirmation de Nahmanide, aujourd’hui confirmée par la science, échappe totalement au bon sens et se trouve absolument contraire à l’expérience humaine du monde. Comment peut-on prétendre que l’ensemble de l’Univers, toute la matière, toute l’énergie, incluant les planètes, le Soleil, le système solaire, les étoiles, les galaxies… se trouve confiné dans un point tellement petit qu’il « n’a pas de substance » ? Comment énoncer un tel propos, alors qu’il est quasiment impossible, aux niveaux d’énergie que nous connaissons, de  comprimer un verre d’eau pour lui faire prendre un volume réduit de moitié ? En énonçant cela,Nahmanide s’est assurément exposé au ridicule. Au stade de nos connaissances actuelles, c’est pourtant cette théorie qui semble représenter la réalité des premiers instants de l’Univers.

A cette taille, à ce niveau de confinement, quel pouvait être l’état de l’Univers ? Pour s’en rendre compte, il faut avoir en tête une des formules les plus connues, la star des formules de Physique depuis qu’elle a été rendue célèbre par les travaux d’Albert Einstein, la formule E= m . c^2 ;
Cette formule signifie qu’une quantité de matière de masse m (exprimée en kg) qui serait annihilée, dégagerait une énergie E (en Joules) qui se calcule selon cette formule, en multipliant donc la masse m par le carré de la vitesse de la lumière, c'est-à-dire par : 9.1016, soit 90 millions de milliards. Ainsi, un kilogramme de matière
produit lorsqu’il est annihilé, 90 millions de milliards de Joules – à titre de repère : une lampe de 100 W dégage 100 Joules par seconde –.
.....

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